Ah ! La pêche...
Qui n'a jamais essayé de lancer à l'eau, un vulgaire fil de couture, relié à une épingle tordue qui transperce un gros ver rouge, ne peut comprendre cette folie douce qu'est la pêche.
Préparer ses appâts des jours à l'avance en allant fouiller dans la gadoue, vérifier scrupuleusement tous ses accessoires, et le jour dit à trois heures du matin s'affubler d'habits de colporteurs, espérer humer avec plaisir le mucus des poissons, est incompréhensible.
On ne peut comparer ce comportement qu'à la foi religieuse, et à son espérance du jour de gloire où l'on sera comblé.
Voici l'extrait d'une lettre authentique, qu'un père fanatique de pêche, adresse à son fils en vacances à Lavangeot, peu avant son arrivée pour ses congés. Il est question de préparer des appâts dignes de la gent aquatique qui regorge entre le Doubs et le canal du Rhône au Rhin.
Trois jours avant mon arrivée, va chercher de la terre glaise dans le trou à renard, en bordure du bois sur le chemin de la gare. Remplis-en à ras bord les deux sacoches du vélo.../...
Tu trouveras à Orchamps à l'épicerie Charnet du pain de chènevis. Prends-en environ 1,5 kg. Tu le casseras grossièrement avec un marteau. Récupère du vieux pain et fais le tremper dans l'eau toute une nuit. Un kilo devrait suffire.
Va chez les Thiébaud au tas de fumier, tu sais près de la murette du grand pré, l'endroit le plus à l'ombre. Cherche des vers de terre, petits et bien rouges, que tu mettras dans une boite en fer avec du fumier, le tout recouvert de mousse que ça reste humide.
Quand tu as tout cela, prends une vieille bassine dans laquelle tu mélangeras ensemble la terre glaise, le chènevis, le pain bien égoutté, les vers de terre sans le fumier. Malaxe bien le tout pour en faire une pâte homogène et régulière. Fabrique des grosses boules de ce mélange , de la grosseur d'une boule de pétanque, ou un peu plus. Tu dois pouvoir en faire une vingtaine. Mets-les à la cave au frais jusqu'à la veille de mon arrivée. Le matin tu vas en vélo les transporter au Doubs. Tu sais où est mon « coup » pour la pêche.
Là tu jettes toutes les boules à environ cinq mètres du bord, un peu en amont à cause du courant qui risque de les déplacer un peu.
Merci encore, mon grand, bonne continuation dans les vacances....
PS. Si tu vas à Orchamps, profites-en pour acheter des asticots, 50 à 60 frs cela suffira.
C'étaient des francs 1954
Max BERNARD
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LA JOURNEE DES
EMBÛCHES
Mon père, lors de nos vacances
jurassiennes et ancestrales, pratiquait en été la pêche dans le Doubs. Son
rythme de vie était conditionné par sa passion halieutique. Il savait depuis
longtemps que les meilleures pêches se font au lever du jour ; il lui
fallait donc adapter ses horaires ! Lever : trois heures du
matin, coucher : vingt heures.
Pour améliorer ses
performances, il eut l'idée d'innover la
qualité des appâts pour poisson. Un vieux pratiquant des ruisseaux lui avait
glissé à l'oreille que le ''nec plus ultra'' des esches irrésistibles pour la
truite, la perche, le chevesne était le ''traine-buche'' (c'est un mot du Jura
– ailleurs on dit ''porte-bois''). C'était tout simplement une
larve d'un papillon de nuit (phrygane) vivant dans les eaux claires, qui se
rend invisible en nichant sous de grosses pierres.
Il était simple alors de
prendre ses bottes et de patauger dans l'eau cristalline du ''Bi'' (ruisseau de
Lavangeot) et de retourner les pierres pour les trouver. Pour les néophytes on ne voyait
que des amoncellements de petits cylindres de 2,5 centimètres de
long environ, faits de sable et débris végétaux. A l'intérieur, il y avait bien
une larve qui s'était elle-même emmaillotée dans ce petit tube.
Après une bonne récolte, mon
père décida qu'il fallait faire vite pour garder la vivacité de la larve. Le
lendemain, dès potron-minet, le pêcheur émérite était en place sur les rives du
Doubs. Toutes précautions prises, traine-buche bien accroché à l'hameçon... Hop !
On lance la ligne à l'eau.
Un peu penaud, mais surtout
bien trempé dès le lever du jour, il décide de retourner à la maison pour se
changer. Il arrive en catimini pour ne pas inquiéter la maman. Elle vient juste
de se lever et s'écrie : ''Mais ta pêche est déjà terminée ? ''Mais pas du tout, répond-t-il,
j'ai juste oublié mes asticots... mais je repars. Ma mère a certainement dû
apprécier qu'on lui parle d'asticots avant son petit déjeuner !
Et la journée de pêche s'écoula
dans la morosité. Mon père reprit son vélo pour le retour, avec quelques
pauvres goujons et ablettes. Arrivé à Lavangeot, dans la
dernière descente de la route caillouteuse, il ne put éviter un nid de poule,
sa roue avant se tordit et il se retrouva dans le fossé, les jambes
complètement immobilisées par le guidon du vélo qui s'était bloqué. Ce fut la
dernière bûche de la journée.
Mais le sort n'est pas toujours
ingrat ! Mon père fut tiré de ce mauvais pas, à l'aide de Monsieur
Collier, qui depuis son jardin avait tout vu, et accourait pour venir délivrer
le malchanceux. Ouf ! Il s'en tira sans mal.
Arrivé à la maison, papa nous
raconta par le menu son odyssée incroyable. Quant au nid de poule, j'avais neuf
ans, je demandais à mon père en toute naïveté ''est-ce qu'il y avait des œufs
dans le nid de poule'' ?
Hilarité générale en famille et
avec les voisins qui s'étaient inquiétés de la santé du Père Bernard.
MAX BERNARD
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DE LA JAVELEUSE A LA BATTEUSE
Leur faisant part de ma façon de voir, ils eurent vite fait de me désillusionner, en m'invitant à participer à tout ce que devait faire le paysan ''Viens donc nous donner la main'', me disaient-ils. C'était une joie, presque un honneur, mais bien vite tempéré.
Quand il fallait lancer, à l'aide d'une fourche, les bottes de blé en haut d'une charrette, mon inexpérience et mes muscles peu aguerris m'incitaient à beaucoup de modestie. Oui j'ai sué, j'ai craché, j'ai eu des ampoules aux mains...mais j'ai toujours fait semblant d'être à l'aise. Ils voyaient bien que je souffrais, mais ne m'en disaient mot...ils savaient ce que c'était...
C'est ainsi que j'appris que les récoltes doivent être ramenées en lieu sûr, donc les charger dans les champs, et les décharger dans un grenier à la ferme.
Mais ce n'était pas tout. Le point d'orgue de ce travail communautaire, silencieux et harassant, m'attendait au bout de quelques semaines...j'ai nommé la ''BATTEUSE''. Cet engin avait pour but de trier le grain de la paille, avec la présence indispensable d'au moins dix personnes. Oui, j'y ai participé...mais jamais plus d'une journée...Les vrais paysans pouvaient en faire trois ou quatre de suite. Ainsi, j'ai le souvenir de la chaleur, du bruit infernal, de la poussière qui se colle sur le corps en sueur, les muscles tendus, et en contrôle constant sur les mille pièges de la machine. De temps à autre, les femmes passaient nous distribuer de l'eau ou du vin. Les gorges étaient en feu, la poussière envahissait les yeux, la bouche, le nez...souffrance acceptée par tous...Le pire était pour les porteurs de sacs de grain d'environ 80 kilos qui les montaient sur le dos en haut d'un grenier bien sec, par l'intermédiaire d'une échelle branlante.
Heureusement cela s'arrêtait à midi et le soir. Et là c'était la décompression, la détente, et le plaisir de participer à un banquet plus que républicain...car on ne fêtait que l'amitié, la convivialité, le courage partagé, et non pas la visite d'un édile en campagne électorale.
Le repas, soigneusement préparé, simple et somptueux, pour une vingtaine de convives, par des paysannes aussi courageuses que leurs maris, faisait oublier la journée passée et donnait de l'élan pour celles à venir.
Le dimanche, croyant ou pas, était un jour à respecter. Pas de travail, les familles se retrouvaient même à plusieurs lieues de distance. Le char à banc était sorti de son hangar, on était endimanché en noir...et hue cocotte !
Max BERNARD