Gauloiserie / Nos meilleurs souvenirs / Un mariage à Lavangeot en 1896


GAULOISERIE

Dans les années 1950, en vacances à Lavangeot, pré-adolescent curieux, je peaufinais en bonne compagnie mes études d'histoire naturelle. Ainsi, très souvent, le soir au crépuscule, nous chahutions dans les chemins creux. L'heure était propice aux conversations très gauloises sur l'accouplement des animaux.
Je fus un soir bien renseigné, lorsque je m'étonnais qu'un paysan aille se promener si tard en tirant avec effort une vache nerveuse en direction de Romange. La question à l'entourage : où va-t-il avec son animal ?
Réponse immédiate et goguenarde : il conduit sa vache au taureau du Père Passard. Je voulais en savoir plus... et avec moults détails je fus instruit. Merci les copains, copines !
Pour rester dans le même registre des sollicitations intimes propres à l'adolescence, un sournois de mon âge me pose une question sur mon savoir citadin. Dis ! Je ne sais pas comment s'appelle l'instrument de musique que l'on tient avec les deux mains et qui ressemble à des assiettes en cuivre ? Fier d'avoir la réponse j'hasardais : ''des cymbales je crois''. Réponse immédiate et joyeuse : ''Bravo, avec les deux miennes ça fait sept'' !
Je ne restais pas moi aussi sans le plaisir de leur apprendre des choses de la vie. Ami de la famille Thiébaud, je leur dis que le bélier de la ferme allait être castré dans les prochains temps. Et le jour dit, toute la bande de garnements était présente pour les travaux pratiques. Le mode opératoire, dans un silence religieux entrecoupé des bêlements de l'animal, fut le suivant : Coucher le bélier, et le maintenir au sol avec l'aide de quatre gaillards, car la bête n'était pas consentante. Ensuite garrotter les bourses avec une ficelle. Palper et déplacer les testicules pour inciser au bon endroit. Puis entrer dans le vif du sujet avec dextérité, avec un grand couteau de charcutier, préalablement désinfecté avec de la gnole. Finir le travail sans se soucier des cris de l'interessé. Il n'y avait guère de sollicitude pour le patient souffrant...quoique un ancien murmura ''Vin diou, ça ne doit pas faire du bien aux noisettes''. Un vague pansement à la gnole, après la cautérisation, et l'animal était debout, mais pas content. Voilà le cours magistral que j'avais préparé à mes amis.
La vie continuant, filles et garçons, soumis aux mêmes évolutions de leurs appartenances sexuelles respectives, ne manquaient de le faire savoir. Il me souvient que Jeanine n'engendrait pas la mélancolie par ses leçons de choses liées à ses attributs naturels et très personnels. Ainsi, lors d'une rituelle réunion du soir au bas de la rue, elle lança l'idée de chanter chacun à notre tour une chanson entendue à la T.S.F. Elle se mit la première à entonner à haute voix : ''Qu'est-ce qui m'a donné de si beaux nichons, c'est le piston''. C'était le plagiat de la chanson de Bourvil : '' Qu'est-ce qui m'a donné la voix d'un artiste, c'est le piston''. A notre grande surprise, sa grand-mère l'avait entendue et lui rappela vertement les règles de la bienséance.
Je n'oublie pas non plus le jeu de cache-cache avec filles et garçons, soit dans un grenier à foin aux odeurs enivrantes, soit dans les ''topes'' où l'on se retrouvait à deux dans un buisson épais, bien tapis l'un contre l'autre... De toutes ces gaillardises naissantes, j'en retiens qu'elles dessinent le destin des générations futures, et qu'à leurs évocations les oreilles se tendent et réveillent les regards assoupis des convives en fin de gueuleton.
MAX BERNARD



J'ai des souvenirs longs
Lavangot en été vers 20heures. Le ramassage du lait se termine, les vaches et leurs clarines sont renvoyées à leur pacage nocturne, mais la journée n'est pas terminée pour les ados. C'est l'heure pour eux de joyeuses émancipations collectives. Au 'bas de la rue', se rassemble tout doucement une bande de lurons et luronnes volubiles, chahutant. L'obscurité enveloppe le village, avec pour témoins les hulottes du clocher millénaire, qui commencent à chuinter bruyamment. C'est un signal fort pour entreprendre avec délice une aventure pédestre autour du village. La coutume, peut-être génétique, est de partir du couchant en direction du levant. Peut-être pour refuser de dormir, et gagner au plus vite l'heure du réveil. De fait, le groupe de jeunes expansifs, se déplace vers le chemin de la Joséphine. Plutôt sombre, pierreux et piégeux, il s'enfonce dans la vraie nature. Bordé d'une haie touffue, hérissé de prunelliers, d'azéroliers, d'églantiers et de multiples plantes odorantes, ce chemin nous entraine à proximité du puits des 'Agasses'. La promenade est féérique. On y repère les vers luisants, qui sont à la même place que l'année dernière. Des chauve-souris qui nous frôlent la tête, tout cela pour se repaître des moustiques, hannetons et moucherons qui nous font un brin de conduite. Sans compter que l'immensité du ciel étoilé nous laisse sans voix par son mystère, ne serait-ce que la voie lactée. A son sujet, l'un avance que ce sont des étoiles, un autre une galaxie, et puis n'entend-on pas dire par un féru d'astronomie qu'il faudrait des millions d'années pour en faire le tour à la vitesse de la lumière. Silence et ébahissement.
On revient sur terre, le puit des 'Agasses' apparaît quelques petits chahuts d'arrosage...et l'on repart. Arrivés devant la fenêtre éclairée de Francis Dugand, on zyeute sans vergogne ses allées et venues précédant sa mise au lit. Pas naïf, il nous repère, sort bruyamment de sa chambre et nous invective en nous traitant de 'galvaudeux' (vauriens). Tort on a. La raison nous incite à vite poursuivre notre expédition. Plus loin, au seuil de son logis, Fernande Besançon essaie de connaître les raisons de ce remue-ménage nocturne. Elle reconnaît les protagonistes, et hilare, elle en rajoute et raconte des blagues villageoises un peu salées. On apprend des choses très croustillantes. Bref, chemin faisant, le clocher de l'église de distingue dans la nuit. On peut poursuivre l'équipée soit en empruntant la rue Jeanerot, soit, un peu plus retiré le sentier de la 'Messote' à la réputation mystérieuse.
Voilà pourquoi. Paraît-il que dans le temps, au pied d'un chêne séculaire il y avait de curieuses cérémonies nocturnes (messotes), mi-gaëliques mi-chrétiennes. Rien à voir avec des messes noires, mais un culte très curieux rendu au chêne porteur de gui et à la Sainte Vierge simultanément. Tout doucement vers 23 heures, on rejoint à peu près le lieu de départ pour un au-revoir, qui présume d'autres lendemains. Après avoir côtoyé la terre et frôlé l'immensité céleste, Gisèle (12 ans) pour faire durer le plaisir, nous lance un pari fou. Elle nous dit qu'elle est capable de monter en haut du clocher, seule, dans le noir complet, malgré les chausse-trapes des escaliers incertains.
Pari tenu, elle s'élance et promet de nous faire signe de la main, en arrivant au sommet. Un long moment écoulé, elle revient toute fiérote, et nous demande si l'on a bien vu son signe. Franchement personne n'a rien vu, et on la chahute gentiment. Elle nous en veut. Mais quelques décennies plus tard, on admet que Gisèle intelligente et droite n'a jamais menti. Vox Populi ! Point final.

Max BERNARD



Un monument, vous dis-je !

Ma grand-mère était une curieuse paroissienne. N'allait-elle pas interpeller avec virulence le curé de Lavans qui refusait de venir célébrer le baptême de sa petite fille dans l'église de Lavangeot, bien qu'elle fut née dans le village quelques jours auparavant. Querelles de clocher bien sûr, mais aussi rancoeur personnelle contre cet apprenti prélat qui se permettait de traiter de ''peu évolués et sans piété'' les habitants de Lavangeot.
Ce curé qui n'était même pas du coin osait imposer sa loi à une famille qui comptait plusieurs générations d'ancêtres dans le pays ! Sans ménagements elle lui dit son fait et l'avertit donc que sa petite fille serait baptisée à Lyon à l'église Saint-Nizier. Il en découlait que la petite enveloppe financière et le repas de fête lui passeraient sous le nez. Il faut dire que le destin qui l'avait rendue orpheline de père et de mère à six ans ne l'avait pas prédisposée à l'indulgence. La vie ne lui ayant fait aucun cadeau, elle jugeait qu'elle n'avit pas à en faire aux autres. Se rajoutait aussi dans sa mémoire, l'affront enduré par sa famille, en 1870, où les ''Prussiens'' avaient réquisitionné la maison de Lavangeot, en reléguant les propriétaires dans une seule pièce, où ils étaient observés jour et nuit par un œilleton encore visible dans une porte.
Bref ! Rigoriste et chatouilleuse, ses opinions faisaient foi, comme le cachet indélébile de la poste. Ainsi je me souviens de l'épisode de la ''tartinette Graf'', qui était sa référence de la crème de gruyère. Elle fut choquée que l'entreprise créatrice ''Graf'' se soit fait voler par l'importun Monsieur Bel qui fit la même crème de gruyère sous le nom de ''vache qui rit''. Et pourtant elle aurait dû apprécier l'initiative du nouveau propriètaire, qui comme elle, détestait les ''casques à pointe''. Il avait dénommé son produit ''vache qui rit'' pour se moquer des Allemands qui glorifiaient la musique de Wagner, dont la ''Walkyrie'' qu'il travestit en ''vache qui rit''. !
Et que dire des ses regrets éternels envers Charles Sauria, ce savant Dolois (mais né à Poligny), qui avait inventé l'allumette à friction en 1831. Hélas pour lui, sa découverte révolutionnaire ne fit pas long feu, car en brulant les  produits chimiques dégageaient des gaz dangereux pour la santé. Quelques années plus tard, son procédé fut amélioré par un autre qui en supprima les dangers. L'opinion de ma grand-mère sur Charles Sauria était qu'il avait été copié et spolié. C'était sans appel.
Jusqu'à son décès en 1951, notre aïeule récalcitrante appela toujours ''tartinette Graf'' les ''vache qui rit''. Sans compter qu'elle était toujours émue (et c'était rare) quand elle craquait une allumette, dite de sureté. Elle avait une Foi en elle à déplacer les montagnes, et de temps en temps la Foi en Dieu dans les cas désespérés où elle invoquait en litanie ''Jésus, Marie, Joseph'' et demandait à sa maman qu'elle avait à peine connue, d'intercéder pour elle dans l'au-delà. Un roc a parfois des fissures profondes et secrètes.


MAX BERNARD




PAR LES CHEMINS DE LA VIE


Bien que l'automne fût déjà bien avancé, pour l'adjudant Claude François Joseph Vallon c'était le printemps.
Quittant l'espace d'une journée le quartier militaire du train des équipages à Dole, il avait revêtu sa tenue de sortie. Il montait avec fierté ''Dardanie'' sa courageuse et fidèle jument qu'il avait lui-même dressée. Son chef de corps lui avait octroyé quartier libre pour lui faciliter une mission de la plus haute importance. Aussi, le cœur léger, campé sur sa monture il traversa , la tête haute, les faubourgs de Dole, et s'engagea vers le nord par des chemins de campagne. Destination un bled perdu dans la forêt, habité par quelques paysans. Presque une terre inconnue. Ce haut lieu oublié s'appelait Lavangeot.
A mesure qu'il s'en rapprochait une légère angoisse l'incitait à ralentir l'allure de son destrier. Mais oui ! Il faut réfléchir, prendre son temps, ne pas bafouiller pour sortir sans encombre d'une mission moralement périlleuse. Pour tout dire il allait demander officiellement la main d'une jeune fille qui lui avait remué le cœur et l'esprit. L'élue était Marie-Antoinette Gabet la nièce de Madame Bolomier, qui l'avait recueillie orpheline et éduquée dans tous les principes d'une demoiselle de qualité à l'époque.
Enfin la grille de la propriété lui apparut et cavalièrement il quitta sa monture l'air faussement décontracté...il fit quelques pas autour de sa jument pour vérifier que les trois lieues et demie parcourues sur des chemins caillouteux n'avaient pas abimé les sabots ferrés de l'animal, puis l'attacha à la grille. Sciemment il s'attarda et au bout d'un moment apparut dans le jardin ombragé une dame plutôt âgée, vêtue de noir, à l'abord sévère qui venait avec lenteur à sa rencontre suivie à quelques de la jeune fille en question. Prise de contact prévue à l'avance avec amitié, tact et convenances...Bien sur des pourparlers avaient préparé le terrain...Mais avec ''La Mère Bolomier'', tutrice de sa nièce et maitresse des lieux il ne fallait rien brusquer, et le soupirant en digne militaire s'avança hardiment, fit les révérences d'usage... et osa saisir doucement la main de sa promise. Il était sur de son fait et quand Madame Bolomier esquissa un sourire approbateur les deux jeunes tourtereaux frôlèrent la félicité éternelle en échangeant quelques mots doux...
Après ce tacite consentement, on pouvait enfin parler du mariage. La jeune fille Marie-Antoinette Gabet, ma grand mère raccompagna son fiancé l'adjudant Vallon, mon grand père, jusqu'à sa monture en admirant l'homme, ses bottes en cuir rutilantes et ses brandebourgs astiqués.
La cérémonie eut lieu à Lavangeot le 4 novembre 1896 dans son église millénaire avec le faste qui convient à pareil évenement pour sceller une promesse jusqu'à la mort. Tout avait été précédemment réglé par la visite indispensable chez le notaire, l'envoi des invitations et l'élaboration des menus de la fête, toutes ces choses qui rendent mémorable un mariage digne de ce nom !

Voilà d'où je suis issu...de pamoisons à l'ombre d'un tilleul séculaire.
MAX BERNARD